Зображення сторінки
PDF
ePub

constitution pour les façons de la vie mondaine et les œuvres de l'esprit oratoire. L'Angleterre la suit dans cette voie, emportée par le courant universel du siècle, mais à distance, et tirée de côté par ses inclinaisons nationales. C'est cette direction commune et cette déviation particulière que le monde et sa poésie ont annoncées, que le théâtre et ses personnages vont manifester.

VI

Quatre écrivains principaux établissent cette comédie; Wycherley, Congreve, Vanbrugh, Farquhar1, le premier grossier et dans la première irruption du vice, les autres plus rassis, ayant le goût de l'urbanité plutôt que du libertinage, tous du reste hommes du monde et se piquant de savoir vivre, de passer leur temps à la cour ou dans les belles compagnies, d'avoir les goûts et la carrière des gentilshommes. « Je ne suis pas un écrivain, disait Congreve à Voltaire, je suis un gentleman. En effet, dit Pope, « il vécut plus comme un homme de qualité que comme un homme de lettres, fut célèbre pour ses bonnes fortunes, et passa ses dernières années dans la maison de laf duchesse de Marlborough. » J'ai dit que Wycherley, sous Charles II, était un des courtisans les plus à la mode. Il servit à l'armée quelque temps, comme aussi

1. De 1672 à 1726.

D

Vanbrugh et Farquhar; rien de plus galant que le nom« de capitaine qu'ils prenaient, les récits militaires qu'ils rapportaient, et la plume qu'ils mettaient à leur chapeau. Ils écrivirent tous des comédies du même genre mondain et classique, composées d'actions probables, telles que nous en voyons autour de nous et tous les jours, de personnages bien élevés, tels qu'on en rencontre ordinairement dans un salon, de conversations correctes ou élégantes, telles que les gens bien élevés peuvent en tenir. Ce théâtre, dépourvu de poésie, de fantaisie et d'aventures, imitatif et discoureur, se forme en même temps que celui de Molière, par les mêmes causes, et d'après lui, en sorte que, pour le comprendre, c'est à celui de Molière qu'il faut le comparer.

"

Molière n'est d'aucune nation, disait un grand acteur anglais; un jour le dieu de la comédie, ayant voulu écrire, se fit homme, et par hasard tomba en France. Je le veux bien; mais en devenant homme il se trouva du même coup homme du dix-septième siècle et Français, et c'est pour cela qu'il fut le dieu de la comédie. « Divertir les honnêtes gens, disait Molière, quelle entreprise étrange! » Il n'y a que l'art français du dix-septième siècle qui pouvait y réussir ; car il consiste à conduire aux idées générales par un chemin agréable, et le goût de ces idées est, comme l'habitude de ce chemin, la marque propre des honnêtes gens. Molière, comme Racine, développe et compose. Ouvrez la première venue de ses pièces à la première scène venue; au bout de trois réponses,

vous êtes entraîné ou plutôt emmené. La seconde continue la première, la troisième achève la seconde, la quatrième complète le tout; un courants'est formé qui nous porte, nous emporte et ne nous lâche plus. Nul arrêt, nul écart; point de hors-d'œuvre qui viennent nous distraire. Pour empêcher les échappées de l'esprit distrait, un personnage secondaire, le laquais, la suivante, l'épouse, viennent, couplet par couplet, doubler en style différent la réponse du principal personnage, et à force de symétrie et de contraste nous. maintenir dans la voie tracée. Arrivés au terme, un second courant nous prend et fait de même. Il est composé comme le premier et en vue du premier. Il le rend visible par son opposition ou le fortifie par sa ressemblance. Ici les valets répètent la dispute, puis la réconciliation des maîtres. Là-bas Alceste, tiré d'un côté pendant trois pages par la colère, est ramené du côté contraire et pendant trois pages par l'amour. Plus loin, les fournisseurs, les professeurs, les proches, les domestiques se relayent, scène sur scène, pour mieux mettre en lumière la prétention et la duperie de M. Jourdain. Chaque scène, chaque acte relève, termine ou prépare l'autre. Tout est lié et tout est simple; l'action marche et ne marche que pour porter l'idée; nulle complication, point d'incidents. Un évé nement comique suffit à la fable. Une douzaine de conversations composent le Misanthrope. La même situation cinq ou six fois renouvelée est toute l'Ecole des Femmes. Ces pièces sont faites avec rien. » Elles n'ont pas besoin d'événements, elles se trouvent au

large dans l'enceinte d'une chambre et d'une journée, sans coups de main, sans décoration, avec une tapisserie et quatre fauteuils. Ce peu de matière laisse l'idée percer plus nettement et plus vite; en effet, tout leur objet est de mettre cette idée en lumière : la simplicité du sujet, le progrès de l'action, la liaison des scènes, tout aboutit là. A chaque pas, la clarté croît, l'impression s'approfondit, le vice fait saillie; le ridicule s'amoncelle, jusqu'à ce que, sous ces sollicitations appropriées et combinées, le rire parte et fasse éclat, Et ce rire n'est pas une simple convulsion de gaieté physique; un jugement l'a provoqué. L'écrivain est un philosophe qui nous fait toucher dans un exemple particulier une vérité universelle. Nous comprenons par lui, comme par La Bruyère ou Nicole, la force de la prévention, l'entêtement du système, l'aveuglement de l'amour. Les couplets de son dialogue, comme les arguments de leurs traités, ne sont que les preuves suivies et la justification logique d'une conclusion préconçue. Nous philosophons avec lui sur la nature humaine, et nous pensons, parce qu'il a pensé. Et il n'a pensé ainsi qu'à titre de Français, pour un auditoire de Français gens du monde. Nous 'goûtons chez lui notre plaisir national. Notre esprit fin et ordonnateur, le plus exact à saisir la filiation des idées, le plus prompt à dégager les idées de leur matière, le plus curieux d'idées nettes et accessibles, trouve ici son aliment avec son image. Aucun de ceux qui ont voulu nous montrer l'homme ne nous a conduits par une voie plus droite et plus

commode vers un portrait mieux éclairé et plus par

lant.

J'ajoute vers un portrait plus agréable, et c'est là le grand talent comique; il consiste à effacer l'odieux, i et remarquez que dans le monde l'odieux foisonne. Sitôt que vous voulez le peindre avec vérité, en philosophe, vous rencontrez le vice, l'injustice et partout l'indignation; le divertissement périt sous la colère et la morale. Regardez au fond du Tartufe; un sale cuistre, un paillard rougeaud de sacristie qui, faufilé dans une honnête et délicate famille, veut chasser le fils, épouser la fille, suborner la femme, ruiner et emprisonner le père, y réussit presque, non par des ruses fines, mais avec des momeries de carrefour et par l'audace brutale de son tempérament de cocher: quoi de plus repoussant? et comment tirer de l'amusement d'une telle matière, où Beaumarchais et La Bruyère vont échouer? Pareillement, dans le Misanthrope, le spectacle d'un honnête homme loyalement sincère, profondément amoureux, que sa vertu finit par combler de ridicules et chasser du monde, n'estil pas triste à voir? Rousseau s'est irrité qu'on y ait ri, et si nous regardions la chose, non dans Molière, mais en elle-même, nous y trouverions de quoi révolter notre générosité native. Parcourez les autres sujets c'est Georges Dandin qu'on mystifie, Géronte qu'on bat, Arnolphe qu'on dupe, Harpagon qu'on vole, Sganarelle qu'on marie, des filles qu'on séduit,

1. Ornuphre, Begcars.

« НазадПродовжити »