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comme il l'est dans notre esprit. Nous devons copier et noter notre pensée avec le flot d'émotions et d'images qui la soulèvent, sans autre souci que celui de l'exactitude et de la clarté. Une phrase vraie vaut cent périodes nombreuses; l'une est un document qui fixe pour toujours un mouvement du cœur ou des sens; l'autre est un joujou bon pour amuser des têtes vides de versificateurs ; je donnerais vingt

pages de Fléchier pour trois lignes de Saint-Simon. Le rhythme régulier mutile l'élan de l'invention naturelle; les nuances de la vision intérieure disparaissent; nous ne voyons plus une âme qui pense ou sent, mais des doigts qui scandent la période continue ressemble aux ciseaux de La Quintinie, qui tondent tous les arbres.en boule, sous prétexte de les orner. C'est pourquoi il y a quelque froideur dans le style d'Addison, quelque monotonie. Il a l'air de s'écouter parler. Il est trop modéré, trop correct. Ses histoires les plus touchantes, par exemple celle de Théodose et Constance, touchent médiocrement; qui aurait envie de pleurer en écoutant des périodes comme celle-ci? « Constance, sa<«< chant que la nouvelle de son mariage pouvait « seule avoir poussé son amant à de telles extré«<mités, ne voulait pas recevoir de consolations; << elle s'accusait elle-même à présent d'avoir si do«< cilement prêté l'oreille à une proposition de ma«riage, et regardait son nouveau prétendant comme « le meurtrier de Théodose; bref, elle se résolut à « souffrir les derniers effets de la colère de son père

LITT. ANGL.

III- 10

« plutôt que de se soumettre à un mariage qui lui << paraissait si plein de crime et d'horreur. » Estce ainsi qu'on peint l'horreur et le crime? Où sont les mouvements passionnés qu'Addison prétend peindre? Ceci est raconté, mais n'est point vu.

Au fond, le classique ne sait pas voir. Toujours mesuré et raisonnable, il s'occupe avant tout de proportionner et d'ordonner. Il a ses règles en poche et les tire à tout propos. Il ne remonte pas à la source du beau du premier coup, comme les vrais artistes, par la violence et la lucidité de l'inspira – tion naturelle; il s'arrête dans les régions moyennes, parmi les préceptes, sous la conduite du goût et du sens commun. C'est pour cela que la critique, chez Addison, est si solide et si médiocre. Ceux qui cherchent des idées feront bien de ne point lire son Essai sur l'imagination, si vanté, si bien écrit, mais d'une philosophie si écourtée, si ordinaire, toute rabaissée par l'intervention des causes finales. Son célèbre commentaire du Paradis perdu ne vaut guère mieux que les dissertations de Batteux et du P. Bossu. Il y a tel endroit où il compare presque sur la même ligne Homère, Virgile et Ovide. C'est que le bel ajustement d'un poëme en est pour lui le pre

1. Constantia who knew that nothing but the report of her marriage could have driven him to such extremities, was not to be conforted; she now accused herself for having so tamely given an ear to the proposal of a husband, and looked upon the new lover as the murderer of Theodosius. In short she resolved to suffer the utmost effects of her father's displeasure rather than to comply with a marriage which appeared to her so full of guilt and horror. (Spectator, no 164.)

mier mérite. Les purs classiques goûtent mieux l'arrangement et le bon ordre que la vérité naïve et la forte invention. Ils ont toujours en main leur manuel de poésie : si vous êtes conforme au patron établi, vous avez du génie; sinon, non. Addison, pour louer Milton, établit que, selon la règle du poëme épique, l'action du Paradis est une, complète et grande; que les caractères y sont variés et d'un intérêt universel, que les sentiments y sont naturels, appropriés et élevés; que le style y est clair, diversifié et sublime: maintenant, vous pouvez admirer Milton; il a un certificat d'Aristote. Écoutez par exemple ces, froides minuties de la dissertation classique « Si j'avais suivi la méthode de M. Bossu « dans mon premier article sur Milton, j'aurais << daté l'action du Paradis perdu du discours de Raphaël au cinquième livre '. » — « Quoique l'allégorie du Péché et de la Mort puisse en quelque « mesure être excusée par sa beauté, je ne saurais << admettre que deux personnages d'une existence si chimérique soient les acteurs convenables d'un « poëme épique. » Plus loin il définit les machines poétiques, les conditions de leur structure, l'utilité de leur emploi. Il me semble voir un menuisier qui vérifie la construction d'un escalier. Ne croyez pas que les choses artificielles le choquent ; au contraire,

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1. Had I followed monsieur Bossu's method in my first paper on Milton, I should have dated the action of Paradise lost from the beginning of Raphael's speech in this book, etc. (Spectator, no 327.)

il les admire. Il trouve sublimes les tirades de Dieu le Père et les politesses monarchiques dont se régalent les personnages de la Trinité. Les campements des anges, leurs habitudes de chapelle et de caserne, leurs disputes d'école, leur style de puritains aigres ou de royalistes dévots n'ont pour lui rien de faux ni de désagréable. La pédanterie d'Adam et ses prédications de ménage lui semblent convenir au pur état d'innocence. En effet, les classiques des deux derniers siècles n'ont jamais conçu l'esprit humain que comme cultivé. L'enfant, l'artiste, le barbare, l'inspiré leur échappent; à plus forte raison tous les personnages qui sont au delà de l'homme; leur monde se réduit à la terre, et la terre au cabinet d'étude et au salon; ils n'atteignent ni Dieu ni la nature, ou, s'ils y touchent, c'est pour transformer la nature en un jardin compassé et Dieu en un surveillant moral. Ils réduisent le génie à l'éloquence, la poésie au discours, le drame au dialogue. Ils mettent la beauté dans la raison, sorte de faculté moyenne, impropre à l'invention, puissante pour la règle, qui équilibre l'imagination comme la conduite, et qui institue le goût arbitre des lettres en même temps que la morale arbitre des actions. Ils écartent les jeux de mots, les grossièretés sensuelles, les écarts d'imagination, les invraisemblances, les atrocités et tout le mauvais bagage de Shakspeare'; mais ils ne le suivent qu'à demi dans

1. Spectator, 39, 40, 58.

les profondes percées par lesquelles il entre au cœur de l'homme pour y dévoiler l'animal et le Dieu. Ils veulent bien être touchés, mais non renversés; ils souffrent qu'on les frappe, mais ils exigent qu'on leur plaise. Plaire raisonnablement, voilà l'objet de leur littérature. Telle est la critique d'Addison, semblable à son art; née, comme son art, de l'urbanité classique; appropriée, comme son art, à la vie mondaine; ayant la même solidité et les mêmes limites parce qu'elle a les mêmes sources, qui sont la règle et l'agrément.

VI

Encore faut-il songer que nous sommes ici en Angleterre, et que bien des choses n'y sont point agréables à un Français. C'est en France que l'âge classique a rencontré sa perfection; de sorte que, comparés à lui, ceux des autres pays manquent un peu de fini. Addison, si élégant chez lui, ne l'est point tout à fait pour nous. Auprès de Tillotson, c'est le plus charmant homme du monde. Auprès de Montesquieu, il n'est qu'à demi poli. Sa conversation n'est pas assez vive; les promptes allures, les faciles changements de ton, le sourire aisé, vite effacé et vite repris, ne s'y rencontrent guère. Il se traîne en phrases longues et trop uniformes; sa période est trop carrée; on pourrait l'alléger de tout un bagage de mots inutiles. Il annonce ce qu'il va dire, il marque les divisions et les subdivisions, il

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