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il resta modéré dans la polémique, et dans un temps où les vainqueurs tâchaient légalement d'assassiner ou de ruiner les vaincus, il se borna à montrer les fautes de raisonnement que faisaient les tories ou à railler courtoisement leurs préjugés. A Dublin, il alla le premier serrer la main de Swift, son grand adversaire tombé. Insulté aigrement par Dennis et par Pope, il refusa d'employer contre eux son crédit ou son esprit, et jusqu'au bout loua Pope. Rien de plus touchant, quand on a lu sa vie, que son Essai sur la bonté; on voit que sans s'en douter il parle de luimême. Les plus grands esprits, dit-il, que j'ai ren« contrés étaient des hommes éminents par leur hu« manité. Il n'y a point de société ni de conversation qui puisse subsister dans le monde sans bonté ou quelque autre chose qui en ait l'apparence et en tienne la place; pour cette raison, les hommes ont été forcés d'inventer une sorte de bienveillance qui << est ce que nous désignons par le mot d'urbanité. » Il vient ici d'expliquer involontairement sa grâce et son succès. Quelques lignes plus loin il ajoute : « La « bonté naît avec nous; mais la santé, la prospérité << et les bons traitements que nous recevons du monde « contribuent beaucoup à l'entretenir1. » C'est encore

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1. There is no society or conversation to be kept up in the world without good-nature or something which must bear its appearance, and supply its place. For this reason, mankind have been forced to invent a kind of artificial humanity, which is what we express by the word good-breeding.... The greatest wits I have conversed with are men eminent for their humanity.... Good-nature is generally born with us; health, prosperity, and kind treatment from the world are great cherishers of it, where they find it.

lui-même qu'il dévoile ici : il fut très-heureux, et son bonheur se répandit tout autour de lui en sentiments affectueux, en ménagements soutenus, en gaieté sereine. Dès le collége il est célèbre; ses vers latins lui donnent une place de fellow à Oxford; il y passe dix ans parmi des amusements graves et des études qui lui plaisent. Dès vingt-deux ans, Dryden, le prince de la littérature, le loue magnifiquement. Au sortir d'Oxford, les ministres lui font une pension de trois cents guinées pour achever son éducation et le préparer au service du public. Au retour de ses voyages, son poëme sur Blenheim le place au premier rang des whigs. Il devient député, secrétaire en chef dans le gouvernement d'Irlande, sous-secrétaire d'État, ministre. Les haines des partis l'épargnent; dans la défaite universelle des whigs, il est réélu au Parlement; dans la guerre furieuse des whigs et des tories, whigs et tories s'assemblent pour applaudir sa tragédie de Caton; les plus cruels pamphlétaires le respectent; son honnêteté, son talent, semblent élevés d'un commun accord au-dessus des contestations. Il vit dans l'abondance, l'activité et les honneurs, sagement et utilement, parmi les admirations assidues et les affections soutenues d'amis savants et distingués qui ne peuvent se rassasier de sa conversation, parmi les applaudissements de tous les hommes vertueux et de tous les esprits cultivés de l'Angleterre. Si deux fois la chute de son parti semble abattre ou retarder sa fortune, il se tient debout sans beaucoup d'efforts, par réflexion et sang-froid, préparé aux événements,

acceptant la médiocrité, assis dans une tranquillité naturelle et acquise, s'accommodant aux hommes sans leur céder, respectueux envers les grands sans s'abaisser, exempt de révolte secrète et de souffrance intérieure. Ce sont là les sources de son talent; y en a-t-il de plus pures et de plus belles? y a-t-il quelque chose de plus engageant que la politesse et l'élégance du monde, sans la verve factice et les mensonges complimenteurs du monde ? Et chercherez-vous un entretien plus aimable que celui d'un homme heureux et bon, dont le savoir, le goût, l'esprit ne s'emploient que pour vous donner du plaisir ?

II

Ce plaisir vous sera utile. Votre interlocuteur est aussi grave que poli; il veut et peut vous instruire autant que vous amuser; son éducation a été aussi solide qu'élégante; il avoue même dans son Spectator qu'il aime mieux le ton sérieux que le ton plaisant. Il est naturellement réfléchi, silencieux, attentif. Il a étudié avec une conscience d'érudit et d'observateur les lettres, les hommes et les choses. Quand il a voyagé en Italie, ç'a été à la manière anglaise, notant les différences des mœurs, les particularités du sol, les bons et mauvais effets des divers gouvernements, s'approvisionnant de mémoires précis, de documents circonstanciés sur les impôts, les bâtiments, les minéraux, l'atmosphère, les ports, l'administration, et je

ne sais combien d'autres sujets'. Un lord anglais qui passe en Hollande entre fort bien dans une boutique de fromages pour voir de ses yeux toutes les parties de la fabrication; il revient, comme Addison, muni de chiffres exacts, de notes complètes; ces amas de renseignements vérifiés sont le fondement du sens droit des Anglais. Addison y ajouta la pratique des affaires, ayant été tour à tour ou à la fois journaliste, député, homme d'État, mêlé de cœur et de main à tous les combats et à toutes les chances des partis. La simple éducation littéraire ne fait que de jolis causeurs, capables d'orner ou de publier des idées qu'ils n'ont pas et que les autres leur fournissent. Si les écrivains veulent inventer, il faut qu'ils regardent non les livres et les salons, mais les événements et les hommes; la conversation des gens spéciaux leur est plus utile que l'étude des périodes parfaites; ils ne penseront par eux-mêmes qu'autant qu'ils auront vécu ou agi. Addison sut agir et vivre. A lire ses rapports, ses lettres, ses discussions, on sent que la politique et le gouvernement lui ont donné la moitié de son esprit. Placer les gens, manier l'argent, interpréter la loi, démêler les motifs des hommes, prévoir les altérations de l'opinion publique, être forcé de juger juste, vite et vingt fois par jour, sur des intérêts présents et grands, sous la surveillance du public et l'espionnage des adversaires, voilà les aliments qui

1. Voir, par exemple, son chapitre sur la République de SaintMarin.

ont nourri sa raison et soutenu ses entretiens; un tel homme pouvait juger et conseiller l'homme; ses jugements n'étaient pas des amplifications arrangées par un effort de tête, mais des observations contrôlées par l'expérience; on pouvait l'écouter en des sujets moraux, commejon écoute un physicien en des matières de physique; on le sentait autorisé et on se sentait instruit.

Au bout d'un peu de temps on se sentait meilleur ; car on reconnaissait en lui dès l'abord une âme singulièrement élevée, très-pure, préoccupée de l'honnête jusqu'à en faire son souci constant et son plus cher plaisir. Il aimait naturellement les belles choses, la bonté et la justice, la science et la liberté. Dès sa première jeunesse, il s'était joint au parti libéral, et jusqu'au bout il y demeura, espérant bien de la raison et de la vertu humaines, marquant les misères où tombent les peuples qui avec leur indépendance abandonnent leur dignité1. Il suivait les hautes découvertes de la physique nouvelle pour rehausser encore

1. Epitre à Halifax.

O liberty, thou Goddess heavenly bright,
Profuse of bliss, and pregnant with delight,
Eternal pleasures in thy presence reign,
And smiling plenty leads thy wanton train....
'Tis liberty that crowns Britannia's isle,

And makes her barren rocks and her bleak mountains smile.

Sur la république de Saint-Marin :

Nothing, can be a greater instance of the natural love that mankind has for liberty and of their aversion to an arbitrary government, than such a savage mountain covered with people, and the Campania of Rome, which lies in the same country, almost destitute of inhabitants. (Remarks on Italy, Ed. Hurd, tome I, 406.)

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