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Mais dans les convictions morales d'un peuple ne se retrouvent que les règles dont l'observation est nécessaire pour qu'il puisse résister aux dangers qui menacent son existence et se développer normalement. Indépendants de l'étranger, ne le rencontrant que comme ennemi ou, tout au moins, comme concurrent dans la recherche de la nourriture, les Isréalites n'avaient aucun besoin de le ménager. Les membres du clan doivent s'aider comme des frères; si l'un est pauvre et manque du nécessaire, les autres doivent lui faire des prêts, renoncer à tout paiement d'intérêts, ne point exiger le remboursement avant que l'emprunteur ne soit en état de le faire et ne jamais exécuter sur ses biens le débiteur ou le réduire en esclavage (cf. Rois, II; Job, XXIV, 2-4; Michée, VII, 2). Mais toutes ces obligations n'existaient pas vis-à-vis de l'étranger; celui-là, on peut l'acheter et le vendre comme esclave (Lévitique, XXV, 44-46); on peut compter des intérêts pour l'argent qu'on lui prête (Deuteronome, XXIII, 19-20; Exode, XXII, 25-27).

Mais les Isréalites ne restèrent point toujours des nomades; ils envahirent le pays de Canaan, ils s'y trouvèrent en présence des Amorites qui, parvenus à une civilisation relativement développée, habitaient des villes, entretenaient un commerce florissant avec les cités voisines et souffraient, comme tout peuple cultivé, d'une inégalité croissante entre les classes. sociales; leurs dieux, leurs baalims à eux, reflétaient cet état économique, autorisaient ces inégalités, protégeaient le commerce avec tous ses risques, les ruines qu'entraîne l'âpreté de la concurrence et le luxe que permet la prospérité du négoce. C'est en présence de ces baalims que se trouva brusquement placé Jahveh, resté le dieu sévère du désert et c'est par la lutte qui résulta de ce contact que s'explique l'évolution de la religion hebraïque et l'origine des conceptions très pures qui finirent par l'élever au-dessus de celles de tous les peuples voisins.

Ailleurs aussi nous voyons des envahisseurs encore presque barbares brusquement s'emparer d'empires policés. Les Cassites, qui venaient des montagnes d'Elam, conquirent Babylone et y régnèrent pendant quatre siècles. Les Hyksos

imposèrent à l'Egypte leur domination. Mais ces deux invasions se distinguent de celle des Israélites en Canaan par un fait capilal.

Quand les Cassites et les Hyksos entrèrent dans les vallées de l'Euphrate et du Nil, ils y trouvèrent des empires fortement constitués, ayant un gouvernement central, qui, malgré l'autonomie que réussirent à se ménager la plupart des princes locaux, était cependant d'une façon générale reconnu par eux; l'organisation centrale, chez les peuples conquis, était infiniment plus forte que chez les conquérants et ceux-ci nécessairement durent s'adapter aux cadres administratifs des vaincus. Mais les Amorites n'avaient point encore de gouvernement centralisé, chaque ville avait ses princes, indépendants de ceux qui régnaient dans la cité voisine. Ici, les envahisseurs seuls avaient une unité nationale qui manquait à la population indigène. Et quand ces envahisseurs eurent fondé les royaumes israélites, c'est leur dieu seul en qui pouvait se refléter l'unité du pays.

Ce dieu était encore le dieu austère des habitants du désert. Quand un peuple, par une évolution graduelle, s'élève dans la voie du progrès, son dieu lentement change avec lui. Ici, brusquement, Jahveh se trouvait être adoré par un peuple de culture raffinée, obéissant à des principes moraux que les tribus israélites avaient toujours abhorrés. Le contact fut trop imprévu, trop violent et l'évolution ne put se produire. Jahveh voulut imposer aux Amorites un idéal de rudesse, d'ascétisme auquel ils ne pouvaient plus se plier. Les deux conceptions étaient à ce point opposées qu'aucun rapprochement ne fût possible. Au milieu du luxe et de la richesse des cités cananéennes, Jahveh resta le dieu farouche de la communauté primitive et les Amorites se détournèrent de lui pour rester fidèles à leurs baalims. Il fallut les victoires de David, la persévérance des prophètes, les désastres qui s'accumulèrent sur les rois qui résistèrent à leurs exhortations enflammées pour qu'après des siècles Jahveh pût l'emporter. Il n'avait été, pendant ce temps, sincèrement adoré que par les descendants des anciens Israélites, qui continuaient à vivre loin des villes, sur les montagnes nues et dans les vallées

écartées. Quand, après l'exil, Jahveh triompha, il n'avait point, comme les autres baalims, atténué la sévérité des principes moraux qu'il personnifiait dès l'origine; ses prêtres prêchaient toujours la fraternité, l'égalité, la simplicité de la vie; la lutte même qu'il avait à soutenir contre les baalims exagéra les différences qui le distinguait d'eux. Seul entre toutes les divinités orientales, il se trouvait régner sur un peuple civilisé et n'avoir point cependant subi l'action débilitante de la richesse.

Toute cette évolution s'accomplit sous l'impulsion de nécessités sociales. Nous pouvons la résumer par les règles sui

vantes :

1o Les dieux primitivement reflètent exactement l'état social des tribus qui les conçoivent;

20 Quand deux peuples se mêlent, leurs dieux ne peuvent se fusionner que s'ils ne sont pas trop différents les uns des autres; et si la fusion ne se produit pas leur rivalité même renforce les caractères distinctifs;

3o Le peuple d'Israël évoluait, mais, l'évolution de son dieu se trouvait arrêtée et c'est par suite de ces circonstances spéciales qu'il se dégagea peu à peu des influences locales où il était né et qu'il acquit une valeur plus large rendant possible son adoption par d'autres peuples que celui dont il fut d'abord le protecteur exclusif.

RICHARD KREglinger.

Le rôle des élites

dans les échanges de culture.

L'étude des origines de la féodalité et l'évolution des sociétés européennes au moyen âge a déjà fait couler beaucoup d'encre.

L. REYNAUD, maître de conférences à l'Université de Poitiers, vient d'ajouter un nouvel ouvrage à la littérature déjà si considérable du sujet, en portant ses recherches sur un point particulièrement délicat l'influence de la France sur l'Allemagne au point de vue du développement de la féodalité et de la chevalerie dans ce dernier pays.

Je n'ai pas à apprécier l'œuvre de REYNAUD au point de vue historique. Les spécialistes diront ce qu'il faut penser de certaines thèses telles que celle qui fait des Celtes les éducateurs des Germains, celle qui fait du monastère de Cluny l'agent destructeur du régime carolingien en Allemagne, et d'autres encore. Au point de vue sociologique, et notamment à celui des «< Archives sociologiques », cette œuvre est d'un intérêt considérable, à raison même de la méthode de l'auteur qui ramène à des facteurs individuels, formés dans des milieux qu'il définit avec le plus grand soin, toute l'influence qu'il prétend que la France exerça sur l'Allemagne pendant la période décrite par lui. Il ne semble pas que l'action de <«<l'élite » ait jamais été mise en lumière d'une façon plus évidente et même si les affirmations de REYNAUD ne se trouvent pas confirmées par la critique historique, l'œuvre demeurera intéressante sous le rapport de l'analyse.

Article suggéré par le livre récent de L. REYNAUD, Les origines de l'influence française en Allemagne. Étude sur l'histoire comparée de la civilisation en France et en Allemagne pendant la période précourtoise, 950-1150 (voir « Chronique » du présent Bulletin.)

Je dois d'abord résumer très succinctement la thèse du livre (qui n'est que le premier volume d'un travail plus étendu) les Celtes ont été les éducateurs des Germains dans le domaine politique, social, littéraire et artistique et les Germains qui ont envahi la Gaule avaient déjà un fonds commun avec la population dans laquelle ils sont venus se mêler. Mais à raison des contingences du milieu, la culture française se développe dans le sens individualiste de la féodalité, tandis que l'Allemagne s'attarde dans le sillon du programme centralisateur de CHARLEMAGNE. La France prend ainsi une avance qui ne cesse de se manifester au cours des âges. La féodalité y crée une civilisation nouvelle, elle substitue le chevalier au soldat, transforme l'organisation militaire, édifie le château, crée le sceau, le blason, fait naître des sentiments de bravoure, d'héroïsme, de courtoisie idéalisés par la réforme monastique partie de Cluny. La longue solidarité politique des deux pays introduira plus tard les institutions, les mœurs et les croyances françaises dans la société allemande.

C'est précisément par l'analyse minutieuse de ce phénomène d' « acculturation » que le travail de REYNAUD mérite de fixer l'attention du sociologiste.

L'état d'anarchie consécutif à l'invasion des Barbares en Gaule et qui caractérise aussi toute la période mérovingienne excite au plus haut degré le besoin de la défense individuelle. << Le souci qui domine tous les esprits au Ix comme au xo siècle, c'est celui de se défendre contre les bandits de l'extérieur et de l'intérieur» (p. 23). Les contrats de vasselage se multiplient parce que l'homme libre ne peut plus subsister sans confier la défense de ses intérêts à un protecteur puissant. D'autre part, les grands ont besoin de beaucoup de vassaux et de terres pour imposer le respect de leur propre liberté. Il se constitue donc une classe de vassaux d'une part, une classe de seigneurs de l'autre. Devenu le protecteur et l'administrateur d'intérêts très complexes, le seigneur développe sa personnalité d'une façon que l'histoire n'a pas connue jusqu'alors. « Jamais la personnalité humaine n'avait été soumise à pareille épreuve, mise dans l'obligation de tant demander à ses propres ressources. Une bonne partie des

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