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A propos de :

Sur les conditions de l'invention scientifique.

W. OSTWALD, Les grands hommes, traducteur M. Dufour (1).

Le livre devenu rapidement populaire d'OSTWALD a attiré une fois de plus l'attention sur le fait que les inventions scientifiques et, en général, les idées très neuves dans la science sont souvent produites par des savants très jeunes.

<< Il y a quelques années, le physiologiste TIGERSTEDT a remarqué que NEWTON avait fait ses découvertes: le calcul infinitésimal, la loi de la gravitation, la décomposition de la lumière, avant d'avoir 25 ans, et que ABEL, qui a donné aux mathématiques une orientation nouvelle, est mort dans sa 28 année. LINNÉ a édifié son système sexuel des plantes à 24 ans. MAYER, JOULE, COLDING et HELMHOLTZ, qui ont découvert le principe de la conservation de l'énergie, n'avaient pas 28 ans quand ils publièrent leurs idées maîtresses, et on peut y ajouter CARNOT et CLAUSIUS. VESALE, le réformateur de l'anatomie, publia à 28 ans son ouvrage fondamental. SCHEELE et BERZELIUS n'avaient pas 30 ans, quand ils firent leurs principaux travaux. Quand LUDWIG, BRÜCKE, HELMHOLTZ et DU BOISREYMOND réformèrent la physiologie, au milieu du XIXe siècle, ils avaient 25 ans en moyenne, et nous ne sommes pas au bout de la liste » (p. 247).

A propos de ce fait, OSTWALD, à côté de considérations pratiques sur l'éducation dont je n'ai pas à m'occuper, émet d'ingénieuses considérations sur les conditions générales de l'invention scientifique (principalement dans le chapitre X). Parmi les conditions favorables au progrès décisif des sciences,

(1) Bibliothèque de philosophie scientifique, Paris, E. FLAMMARION, 1 vol. in-16, 328 pages, 3 fr. 50.

W. OSTWALD, voir pour la notice biographique, « Archives » n° 46, Bulletin 3.

OSTWALD ne se fait pas faute d'en citer qui sont d'ordre strictement sociologique, telles que les conditions de subsistance des savants, leur genre de vie, etc., mais dans l'ensemble cet auteur adhère à l'idée que le génie scientifique doit s'expliquer avant tout par des conditions d'ordre biologique et que cellesci sont réalisées au plus haut degré chez les jeunes gens.

Je ne songe pas à m'élever contre cette opinion courante; mais il y a lieu de remarquer que dans le problème des conditions de l'invention, on se trouve en présence d'un effet assez clairement aperçu, savoir la connaissance scientifique nouvelle et son influence sur la science et la société, lié à une cause très obscure, savoir l'état physiologique de l'in

venteur.

De cette condition organique, non seulement on ne sait pas grand'chose, mais en fait on se borne à conjecturer son existence en partant de la constatation de l'effet. Quant à sa nature, elle reste à découvrir. En attendant, n'est-il pas d'une bonne méthode de tâcher d'expliquer les effets, d'ailleurs suffisamment définis, par des causes prochaines de même nature? L'invention est un fait psychologique, si on la considère dans l'intérieur de la conscience de l'inventeur; elle est un fait social, si on la prend du dehors, en tant que connaissance formulée une première fois, communiquée à d'autres esprits, installée dans la masse des connaissances acquises et ordonnée par la collectivité scientifique, appliquée à l'industrie et à l'enseignement.

C'est avant tout en tant que fait social que des conditions favorables à sa production peuvent être clairement aperçues et définies. Particulièrement, il semble qu'on puisse donner de ce point de vue un commencement d'explication au phénomène de la précocité relative des inventions, sans rien préjuger au sujet de l'hypothèse d'une différence physiologique entre les organes de la pensée de l'homme jeune et ceux de l'homme âgé.

En quoi consiste, vu du dehors, le phénomène de l'invention? Tout acte de ce genre comporte des connaissances préalables, acquises n'importe comment, inventées ellesmêmes ou apprises, réunies dans un seul esprit, rapprochées

les unes des autres, et telles que de leur combinaison résulte en fin de compte, à l'aide d'une certaine activité du sujet, une connaissance nouvelle, irréductible à la somme des précédentes.

Pour prendre un exemple célèbre, la découverte des lois du mouvement des planètes par KEPLER a eu pour condition la réunion dans l'esprit de l'astronome de deux ordres de connaissances préalables: les observations des mouvements célestes dues à TYCHO-BRAHÉ, et la théorie mathématique des ellipses d'ARCHIMÈDE, sans compter les considérations de COPERNIC.

Le radium n'aurait pas été découvert par les CURIE, s'ils n'avaient combiné la découverte des émanations due à BECQUEREL avec la connaissance d'un certain nombre de procédés chimiques permettant d'isoler des corps hétérogènes intimement mélangés.

Il est intéressant de remarquer que les connaissances conditionnelles d'une invention peuvent être certaines ou hypothétiques, vraies ou fausses. La découverte de l'Amérique par CHRISTOPHE COLOMB est le résultat d'une initiative due à la combinaison de connaissances vraies, telles que celle des propriétés de la boussole, de l'existence des Indes et de la rotondité de la terre, avec des évaluations erronées de l'étendue des mers intermédiaires entre les côtes d'Europe et celles d'Asie.

On peut rapprocher de ce mécanisme fondamental le fait que beaucoup de grandes inventions sont dues à des savants qui cultivent deux ou plusieurs branches de la science, ou qui passent d'une spécialité à une autre, à des HELMHOLTZ et à des PASTEUR.

L'invention est par excellence une opération synthétique. Revenons au cas du génie précoce. Par situation, les jeunes gens sont ceux qui apprennent, c'est-à-dire que le principal et le meilleur de leur activité consiste à acquérir, à recevoir d'autrui, par la lecture, par l'enseignement, des connaissances. Écoliers, étudiants, ils ne puisent pas leurs connaissances à une seule source, ils n'ont pas un maître unique, car même dans le cas où un seul précepteur leur donne un ensei

gnement formel, une foule de connaissances ne leur en viennent pas moins de tous côtés.

Une telle considération ne mérite pas peu qu'on s'y arrête; c'est dans l'esprit des étudiants, non dans celui des maîtres, que les dernières conquêtes des diverses sciences arrivent à se réunir et à se combiner pour la première fois. On dira que les professeurs, que les inventeurs qui ont déjà un passé scientifique peuvent et doivent se tenir au courant des progrès des sciences voisines de celles qu'ils approfondissent; mais d'abord ils ne le font qu'en partie, faute de temps, de curiosité, ensuite ils ne le font pas de la même manière que l'étudiant personne ne leur impose un plan d'études, personne ne leur prépare la matière, et, en outre, le travail auquel l'étude des découvertes récentes les astreint n'est pas le même ils ont acquis antérieurement des notions plus anciennes sur les mêmes questions; ils sont donc conduits comparer les théories nouvelles à d'autres déjà installées dans leur esprit. Au lieu d'apprendre simplement et de combiner ce qu'ils apprennent, ils comparent et jugent, ils préfèrent et ils rejettent. Aussi l'une des deux facultés que les savants d'un âge mûr ont à un degré infiniment plus élevé que les jeunes gens, c'est le sens critique. (L'autre faculté, c'est l'art d'exposer leurs connaissances, sans doute en partie, parce que la plupart de ces connaissances sont depuis plus longtemps dans l'esprit et, partant, mieux ordonnées.)

L'esprit de ceux qui apprennent, et ne font guère que cela, est donc par excellence le lieu où des connaissances qui n'ont pas encore été réunies ni combinées ont chance de se rapprocher dans les meilleures conditions pour se féconder. Quoi d'étonnant dès lors si, soit l'invention, soit les premières lueurs des idées qui donnent naissance plus tard à de grandes nouveautés, se produisent fréquemment dans les années de jeunesse? En remontant dans ses souvenirs, l'inventeur a chance de retrouver la première lueur de son idée dans le voisinage du moment où les connaissances préalables conditionnelles de cette idée sont venues à lui et se sont imposées à son attention. Les origines de la synthèse remontent au moment de la conjonction de ses éléments: c'est leur seul terminus ad quem.

On pourrait développer d'autres considérations du même point de vue l'homme mûr, adonné à une profession, songe à acquérir des connaissances en vue de leur application pratique immédiate; il met plus de méthode dans ses études c'est pourquoi il ne s'égare pas dans le rapprochement d'idées très disparates; il n'apprend que ce qu'il veut apprendre, il donne peu au hasard; cependant c'est quelquefois par des rapprochements de termes disparates, par des conjonctures toutes fortuites, par des tâtonnements désordonnés que le savant arrive à concevoir des idées fécondes, et ce sont celles où l'on se plaira à trouver l'empreinte de l'imagination, de l'originalité, du génie.

Nous conclurons donc que des problèmes, comme celui des rapports de l'âge et des inventions scientifiques, peuvent être traités, partiellement au moins, sans qu'il soit nécessaire d'entrer dans la voie obscure des hypothèses biologiques, ni même proprement psychologiques. Laissant de côté la question de savoir comment l'opération en elle-même se fait, on peut arriver à expliquer que des circonstances extérieures de situation, d'institutions, d'occupations, d'habitudes, de fins poursuivies, c'est-à-dire, en fin de compte, par des conditions d'ordre sociologique, plus d'une particularité importante de l'invention scientifique et des inventeurs.

E. DUPRÉEL.

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