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MIRANDA.

Oh! Quand vous me feriez la guerre pour une vingtaine de royaumes, je déciderais encore que vous avez gagné. »

On reconnaît encore à ce peu d'interlocutions sur le champ interrompues, l'art si connu de Shakspeare pour indiquer d'un seul trait toute une situation, tout un sentiment, qu'il abandonne aussitôt à l'imagination du spectateur; sûr qu'elle les développera bien plus heureurement que s'il l'avait traînée sur de longs détails, toujours inférieurs à ce qu'elle sait deviner.

Ferdinand reconnaît son père, qui confirme et bénit son union avec Miranda. Caliban reparaît avec les deux autres conspirateurs, qui obtiennent leur grâce. Pour lui, il retombe dans son esclavage, tandis qu'Ariel est rendu aux éléments et à la liberté.

Il faut savoir gré à Shakspeare d'avoir imaginé un amour plus gracieux, plus innocent que celui de Daphnis et de Chloé, d'avoir mis en opposition, par une vivante allégorie, le monde intellectuel, et le monde grossier de la matière ; et lui pardonner, en faveur de ces inventions délicieuses, et du brillant vernis de poésie répandu sur tout l'ouvrage, la nullité de l'action, l'insignifiance de quelques scènes, la monstrueuse difformité de plusieurs autres, dignes de

MIRANDA.

Yes, for a score of kingdoms you should wrangle,
And I would call it fair play.

Caliban qui en est souvent le héros, et sur-tout le grand défaut d'avoir distribué l'économie de sa pièce de façon à faire trois pelotons de ses personnages, sans qu'ils se mêlent, pour ainsi dire, jusqu'à la fin, sans qu'ils aient d'autre lien commun que les desseins de Prospero et la fugitive présence d'Ariel.

Nous remarquerons que cette pièce est entièrement conforme aux règles des trois unités. On pense que, harcelé par les critiques de Ben Johnson, Shakspeare voulut lui prouver qu'il était capable de s'astreindre aux prétendus préceptes d'Aristote, quand il le voulait bien. En effet, il semble avoir à dessein fait remarquer par plusieurs personnages, que depuis le naufrage du vaisseau jusqu'à la reconnaissance de la fin il ne s'est écoulé que trois heures.

NOTES.

(A) Cette plaisanterie paraîtra bien peu naturelle au milieu d'un orage où il y va de la vie du plaisant. Elle n'est cependant pas sans exemple. Le grand Condé, étant assailli d'une violente tempête sur le Rhin, adressa cet impromptu à Mussé, l'un de ses favoris , sur un air

alors à la mode :

Care amice, Mussous,

Ah! Deus bone, quod tempus?

Laderirette.

Imbre sumus perituri,

Laderiri.

Mussé lui fit à l'instant, sur le même air, une réponse fort analogue

au raisonnement de Gonzalo; nous n'osons la citer que parce qu'elle est en latin.

Securæ sunt nostræ vitæ,
Sumus enim sodomitæ,

Laderirette;

Igne tantùm perituri,
Laderiri.

(B) Ce trait est des plus bizarres. Cependant Walter Scott l'a emprunté à Shakspeare, pour en faire un usage admirable dans l'Antiquaire, où il le place dans la bouche du mendiant Édie Ochiltrie. Scott emprunte souvent; mais il embellit toujours.

On se rappelle la situation désespérée de sir Arthur et d'Isabelle sa fille, près d'être engloutis par la marée montante. Le mendiant est venu à leur secours; mais il les a rencontrés trop tard : « Brave homme, dit sir Arthur, n'est-il donc aucun moyen ? Ne pouvez-vo us rien imaginer? Je vous ferai riche..... Je vous donnerai une ferme..... Je vous.......

<< Nos fortunes seront bientôt égales, dit le mendiant, en jetant un regard sur les flots courroucés ; elles le sont déjà : car je n'ai pas un pouce de terre, et vous donneriez toute votre baronnie pour la plus petite pointe de rocher qui resterait à sec pendant douze heures. »

L'Antiquaire, tom. 1, ch. 7.

(c) Ce contraste se trouve avec non moins de génie dans une pièce d'André Chénier, où un esclave, à qui un berger donne quelques chèvres, s'écrie:

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Oui, donne, et sois maudit, etc.

(D) C'est la pensée, c'est presque l'expression de Pindare, que Shakspeare ne connaissait peut-être pas :

Exias övaр ävОρшnot. Pind. Pyth. VIII, 136.

Trait si heureusement paraphrasé dans ces deux vers de M. Casimir Delavigne :

Quel que soit de nos jours ou l'éclat ou le nombre "

L'existence de l'homme est le rêve d'une ombre.

(E) Comment ne pas reconnaître dans la chanson d'Ariel l'inspiration première du Trilby de M. Charles Nodier? Ce brillant romancier a imité, comme Walter Scott, en embellissant.

(CYMBELINE.)

Voici une des pièces de Shakspeare, où la main du maître se laisse le moins apercevoir, où la barbarie de la littérature contemporaine a exercé le plus d'influence.

Le sujet par lui-même a beaucoup d'intérêt, et, malgré sa grande analogie avec celui d'Othello, comme dans tout ouvrage fondé, non sur des caractères ou sur des événements, mais sur des passions, les nuances suffisent pour changer entièrement la physionomie de l'ensemble, si Shakspeare avait déployé autant d'art, semé les beautés avec autant de profusion dans cette tragédie, que dans celle où il a peint la jalousie du More, on n'aurait pas vu sans doute, sans une vive admiration, cette lutte d'un grand génie avec lui-même.

Loin de là, rien n'est plus stérile en incidents dramatiques, en effets attachants, que le plan de Cymbeline. L'action, presque toujours invraisemblable, se compose de parties qui n'ont, pour ainsi dire, pas de liaison naturelle; les personnages changent souvent d'esprit et de manière d'être ou de voir; les événements, sont brusques et sans préparation, et l'ennui, qui naît plus souvent encore de la confusion que de l'uniformité, est la seule impression soutenue que laisse la lecture de cette pièce.

ACTE PREMIER.

SCÈNE PREMIÈRE.

Bretagne. Jardin derrière le palais de Cymbeline.

Deux gentilshommes attachés à Cymbeline, roi de la Grande-Bretagne, s'entretiennent de la situation de la cour, où tout est en émoi. Imogène, fille de Cymbeline, et née d'un premier lit, a épousé Posthumus, jeune seigneur élevé par le roi, et pauvre de fortune, quoique riche en mérite. Le roi avait destiné sa fille à Cloten, brutal, idiot, fils d'un premier lit de sa seconde épouse. La reine, qui domine son mari, et l'asservit à toutes ses fantaisies, avait exigé ce mariage dans le dessein d'assurer à Cloten le sceptre de l'île. Car deux fils, qu'avait eus Cymbeline de la mère d'Imogène, ont été enlevés encore en bas âge par leur nourrice, qui s'est dérobée avec eux à toutes les recherches.

Cymbeline, en apprenant le mariage secret de sa fille, a banni Posthumus de sa cour.

Après cette exposition, dont le mode était trop simple et trop facile, les deux gentilshommes sortent, et font place aux personnages dont ils nous ont appris la situation.

Posthumus et son épouse s'adressent de touchants adieux. La reine, feignant d'être attendrie par leur douleur, promet de s'occuper à fléchir quelque jour la colère du roi, et cependant elle va secrètement

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