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n est pas en état de te donner un autre sort; et la société ne lui permet pas de te traiter autrement. La mort viendra te surprendre quand les années auront feuille à feuille détruit ta sensibilité; et les germes que la nature avait mis en toi ne seront pas éclos, quand tu seras enfin transportée sous un ciel plus favorable.

>> Vous vous étonnez de ma tristesse? Ne vois-je pas toutes les semaines comment on sacrifie les âmes, dès qu'elles viennent habiter un corps fé

minin? »

Quelle profonde et délicate sensibilité, sous toute cette bizarrerie! Ce qu'il y a de plus grotesque et de plus délicat s'est accouplé dans cette tête humaine. Continuons.

Je prenais des notes: j'écrivais, j'écrivais toujours, et mes regards s'obscurcissaient. Le soleil, dans sa profondeur lumineuse, me frappait par derrière, et mes yeux mouillés de larmes ne pouvaient plus rien distinguer. Bonne fille! tu ne savais pas d'où venaient mes larmes, et tu pleurais de me voir pleurer.

» Nous descendions des hauteurs escarpées de Bindloch, et à mesure que nous nous plongions dans cette profondeur, elle nous dérobait l'éclat joyeux dont palpitait le soleil, et bientôt sept heures sonnèrent, et la lumière argentée dont le vaste ciel rayonnait disparut, comme dans les ventes publiques de Lunenbourg et de Brême le marteau du vendeur éteint la lumière quand vient le moment fatal.

» Le monde reposait. Sur la montagne apparaissait la lune, semblable à la coupe d'un lis qui ne s'est pas encore épanoui. J'avais achevé d'écrire. Nous étions au bas de la montagne; je dis à la fiancée que j'allais descendre de la voiture, et que je lui lirais quelque chose si elle voulait m'accompagner; car le bruit des roues nous assourdissait de son roulement monotone.

» Nous mîmes pied à terre non loin d'une vieille colonne, auprès de laquelle je n'ai jamais passé sans soupirer. C'est une colonne érigée à la Mort. Devant elle je pense à cette destinée qui nous saisit et nous entraîne, pauvres vermisseaux humains, qui nous secoue et nous meurtrit comme la main des géans secouait Gulliver. Il me semble

que cette colonne est un Hermès antique, une statue de Mnémosyne, placée là par le sort luimême, afin de réveiller dans le cœur oublieux de l'homme un souvenir de la puissance du hasard. Pauline ne se doutait pas que ce monument existât.

» Je l'y conduisis; et le lui montrant du doigt, je lui expliquai les figures qui se trouvaient sculptées sur le pilastre. On voyait une roue de chariot passer sur le corps d'une jeune fille, au visage doux et charmant, mais toute meurtrie par la roue inhumaine. Voici l'histoire:

D

» Les gens des villages voisins racontent qu'un jour une jeune fiancée, qui allait chercher son fiancé, se trouvant dans la diligence publique, fut entraînée par les chevaux effarouchés dans le précipice de Bindloch, et que, sous les yeux de son malheureux amant, elle rendit l'âme, cette âme pleine d'espérances et si cruellement déçue!

» Les vapeurs du soir obscurcissaient déjà le dis

que

de la lune, et Pauline avait peine à discerner les détails de cette sculpture consacrée au malheur d'autrefois; mais son cœur tendre fut frappé, et la similitude de sa position se joignait à un souvenir si

touchant. Elle donna une larme à cette sœur incon

nue que le destin avait brisée en ce lieu. Déjà les ossemens de la jeune fiancée étaient devenus poussière. Le calice des fleurs renfermait une partie de ces cendres transformées en pollen odorant; cette poussière qui nous environnait, ces ossemens devenus cendres, avaient perdu leur forme avant que l'âme qui les avait animés eût, du milieu de son voyage vers l'éternité, jeté un dernier regard sur le corps, son ancien asile. Ce fut là, près de ce monument de souffrance, sous la voûte immense du ciel nocturne, que je lus à Pauline une poétique ébauche; je l'adresse à toutes ses sœurs, et je l'offre à leur âme, etc., etc. »

Telle est la bizarre mais frappante éloquence de cet étrange génie. L'unité manque à toutes ses compositions; inférieur, comme artiste, à Shakspeare, surtout à Cervantes, peut-être supérieur à Sterne, il a trouvé comme eux le point de jonction où la douleur et la gaieté, le pathétique et le comique se fondent.

Voici un dernier fragment de Siebenkæse; il renferme toute la pensée de l'ouvrage, et sa forme

vulgaire en accroît l'effet puissant. Le mari-poète est las de sa ménagère sans génie. Il expire sous le poids de cette union sans accord.

«Une mort intellectuelle saisit le jeune homme; il s'assit dans le vieux fauteuil et couvrit ses yeux de ses mains. Il vit se soulever cette brume qui nous cache l'avenir; à ses regards se révéla sa vie future, vaste espace aride, couvert de cendres et des débris de feux éteints; perspective désolée, jonchée de feuillages jaunis, de rameaux desséchés et d'ossemens qui blanchissent sur le sable. Il reconnut que l'abîme entre son cœur et celui de Lenette irait toujours se creusant; il le reconnut avec un désespoir profond, avec une netteté désolante. Jamais tu ne peux revenir, ancien amour, amour si pur et si beau. Lenette ne quittera jamais son obstination, sa froide réserve, ses habitudes étroites. Son cœur est à jamais frappé de mort, sa tête est fermée à jamais à toute pensée; elle est destinée à ne le comprendre jamais, à ne jamais l'aimer. La froideur du jeune homme pour elle devenait de jour en jour plus amère; il jetait un regard sans espoir sur cette série interminable de silencieuses journées, remplies

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