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éblouissante, on la distingue encore tournant sans cesse sur le même point, solennelle et silencieuse, tantôt éclatante, tantôt pâle, tantôt ardente; un moment affaiblie, puis étincelante : symbole trop menteur d'une amitié fidèle à l'infortune; effet admirable au milieu d'une nuit orageuse et obscure, par la constance de sa mobilité.

Malgré mes fréquentes absences et mes excursions sur le rivage, mes bons hôtes les puritains, satisfaits d'une exacte présence aux heures du repas, et d'une régularité de vie, qui, chez un Français, leur semblait prodigieuse, avaient, je pense, autant d'amitié pour moi que leurs usages et leur croyance leur permettaient d'en concevoir et d'en exprimer. Abraham avait obtenu l'aveu de Sibylla et de son père; une vapeur de félicité calme était répandue dans toute cette maison. Le jour des fiançailles était fixé, et c'était pour moi une joie, que de prendre part à ces grandes cérémonies. Toutà-coup, la guerre s'allumant de nouveau entre les deux nations, il fallut que tous les Français quittassent le sol ennemi, ou restassent prisonniers de guerre. L'alternative ne laissait ni un doute à former, ni un jour de réflexion. Je quittai aveg

peine cette étrange famille, où j'avais vu toutes les vertus mises en pratique, et les dogmes les plus cruels professés avec zèle par des âmes innocentes. Je laissai les amans sur le point d'être unis, et le père de famille et la vieille mère, et les enfans, tous respirant une joie modérée: cependant ils semblaient tristes de quitter leur hôte. Ézéchiel, qui n'avait pas encore prétendu me convertir, et qui n'avait jamais mis (1) en avant (comme les indépendans s'expriment), c'est-àdire prêché sa doctrine pour m'arracher aux Moabites, ne put s'empêcher de me dire, en me serrant la main sur le rivage, que : « le monde était la fournaise où Coré, Dathan et Abiron avaient passé; que si, faute d'avoir la Grâce, j'étais brûlé par les flammes, il fallait me souvenir du Seigneur; que, dans ce cas, sa maison serait pour moi, dans tous les temps, l'arche de Noé, où je pouvais venir me reposer sans crainte.»

Et ces paroles si vraies, si graves, où un intérêt si paternel se mêlait à la ferveur religieuse, sans une seule teinte d'affectation, de fanatisme ou

(1) Held forth.

de civilité vulgaire, m'allèrent au fond de l'âme.

Cependant, en 1816, je revins à Londres, et le désir me prit de revoir le petit hameau sur les rochers, et la famille puritaine, et le portrait de Cromwell sous la théïère, et mon vieux ministre anglican; échantillons uniques, curieux objets d'étude, qui resteront toujours dans mon souvenir, et dont la plume de Richter, de Sterne, de Nodier, ou le crayon de Charlet, auraient reproduit la bizarrerie piquante et pleine d'intérêt. Au lieu de me rendre sur la rive comine à ma première arrivée, je me hâtai de me diriger vers la maison de briques ou demeurait Ézéchiel.

Il était une heure de l'après-midi. Je frappai long-temps en vain. Tout semblait mort dans la maison. Étonné, effrayé presque, je redescendis vers la cahutte du pêcheur qui m'avait orienté pour la première fois dans ces parages. Je le trouvai occupé à raccommoder ses vieux filets, bien que l'humidité de sa triste demeure l'eût rendu presque aveugle. Je lui demandai des nouvelles de M. Ézéchiel F.... et de sa famille, dont la maison semblait déserte.

« Ah! monsieur, me dit le vieux matelot, Dieu a durement agi avec eux. God has dealt rudely with them. Si vous voulez me suivre, je vous mènerai chez leur ancienne domestique, Rachel Blount, qui demeure là-bas, dans cette cabane. Elle vous contera toute cette histoire, qu'elle sait mieux que moi; car elle l'a vue, elle la redit tous les jours, et elle pleure en la racontant. »

Je le suivis chez Rachel Blount, la même domestique qui m'avait ouvert le soir de mon arrivée. Elle me reconnut, et, après les premières explications, elle me fit peu à peu le récit suivant:

Le surlendemain de votre départ, monsieur, les fiançailles de miss Sibylla et de l'honorable jeune homme Abraham S... devaient avoir lieu; mais Dieu visite dans sa colère les crimes des hommes il en avait autrement décidé, et dès le lendemain, tout était fini: il n'y avait plus de bonheur pour la famille. D'abord une rumeur effrayante, qui se répandait de village en village, arriva jusqu'à nous; les bandes de la presse balayaient tout le pays jusqu'à la côte, et enlevaient sur la route, jeunes gens, hommes mûrs, et même vieillards. Le matin, avant l'heure où

cette nouvelle parvint jusqu'à nous, M. Abraham était sorti avec sa fiancée, et se promenait avec elle sur la plage. Nous courûmes sur ses traces, sans pouvoir le trouver. Les brigands arrivèrent à l'endroit où ils étaient ; ils le saisirent; monsieur, ces ennemis de Dieu saisirent cet innocent agneau dans les bras de sa fiancée, et l'entraînèrent avec eux. En vain on les supplia de permettre au moins que le mariage des deux jeunes gens fût célébré, ils s'y refusèrent. La gloire de ces misérables et leur joie est de briser le cœur des familles. Abraham fut emporté en triomphe, garrotté comme une victime, par ces mécréans, qui chantaient en l'emportant, et qui laissaient le père, la mère et la jeune fille pleurer seuls leur misère. Ce fut le lendemain, au départ du vaisseau, qu'il y eut de la douleur dans notre village! Tous les fils, les femmes, les filles, les pères sur le rivage; et les cris d'adieux qui n'étaient pas entendus; et les mères à genoux dans le sable mouillé, tendant les bras à leurs enfans, demandant vainement qu'on leur permît de les embrasser une fois! et pas une permission accordée! pas un adieu! non, pas un dernier coup d'œil! Nous apercevions bien les gens du navire

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