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permis de penser que cette expédition lointaine n'eût pas dû être tentée.

Le Montagnard. sieur le censeur ?

Et pourquoi, mon

F. F.-Par la raison bien simple, qu'il y a beaucoup à perdre et à-peu-près rien à gagner pour la France.

Le Montagnard. preuve !

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Ah ah ! voyons la

F. F. Je dis d'abord qu'il y a beaucoup à perdre en effet, sans parler des obstacles locaux et imprévus qui pourront s'opposer à la réussite de l'entreprise, il n'est que trop possible que notre flotte soit attaquée par une flotte anglaise, supérieure en nombre et dégagée de tout l'attirail de transport qui rend la manoeuvre si difficile ; n'est-il pas à craindre en ce cas que Bonaparte, Berthier, Kléber, Desaix, Menou, Lasne, Murat, les autres généraux, et trente mille hommes, l'élite de l'armée d'Italie, ne soient pris, ou tués, ou coulés à fond; qu'ainsi, tant de dépenses énormes ne deviennent inutiles, et qu'alors les puissances étrangères qui n'ont consenti à la paix que par peur, ne profitent de la circonstance pour recommencer la guerre ?

Quelle effroyable perspective, sur-tout, lorsque le succès présumé de l'entreprise, quelle qu'elle puisse être, n'offre en compensation que des avantages douteux, et dont il est vraisemblable que l'effet ne pourrait être senti qu'au bout de plusieurs années !

Je vois donc les destinées de la France et de la révolution, manifestement compromises d'une part, et de l'autre, je n'aperçois qu'un avantage très-accidentel et très-problématique ; je redoute même beaucoup, en admettant le succès de l'expédition, qu'il n'empêche pas les puissances étrangères de nous attaquer de nouveau, ou du moins, qu'elles ne deviennent très-difficiles sur les conditions de paix, lorsqu'elles n'auront plus à appréhender Bonaparte, les généraux qu'il a formés, et l'armée qui fut invincible sous ses ordres.

En un mot, il y a une telle disproportion entre le peu de chances heureuses qu'offre cette entreprise, et les dangers de tout genre qui peuvent en être la suite, que je serais encore à concevoir comment on a pu en former le projet, si je ne croyais pas deviner les motifs secrets qui ont eu le plus d'influence

sur la détermination.

Le Montagnard. - Explique un peu ce que tu entends par ces motifs secrets qui, suivant toi, ont tant contribué à déterminer cette expédition que tu oses blamer, et dont, moi, je suis enthousiaste.

F. F. Il en est de plusieurs sortes, et d'abord ils émanent de ce que les membres du Directoire, dirigés peut-être par la peur cachée de rendre Bonaparte trop grand et trop nécessaire, avaient renoncé à tenter une descente de forces nombreuses en Angleterre. Le Montagnard. Quel rapport a ce fait avec notre discussion actuelle ?

-

F. F. Les directeurs ont craint qu'après avoir fait publiquement tant de démonstrations à cet égard, ils ne devinssent un objet de risée pour la France et pour l'Europe entière; ils ont donc cherché à détourner l'attention à l'aide d'une autre entreprise, qui pût, en captivant les esprits par sa singularité et ses formes extraordinaires, les empêcher de songer à la vaine ostentation des projets annoncés.

Ces motifs émanent encore de leur jalousie invétérée contre Bonaparte, et sur-tout de l'ombrage qu'il leur inspirait par la masse de ses partisans, ainsi que par l'ascendant de sa haute renommée; ils voulaient à tout prix se débarrasser de la présence incommode d'un pareil observateur.

Le Montagnard. Si cela était ainsi, crois-tu donc que Bonaparte, à qui sans doute tu ne refuseras pas de la sagacité et de la pénétration, ne se fût pas aperçu des intentions des directeurs et qu'il eût voulu s'y prêter? crois-tu qu'il ait été leur dupe, lui qui paraît avoir une connaissance si profonde du cœur humain?

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F. F. Certes, j'ai la conviction intime qu'il a fort bien pénétré les vues secrètes des gouvernans.

Le

Montagnard.-Comment donc tu croire, d'après cela, que.....

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peux

F. F. Je crois que mieux il a deviné leurs vues, plus il a dû être porté à les seconder.

Le Montagnard.

Ah! par exemple,

voyons comment tu prouveras cette assertion qui me paraît étrangement bizarre?

F. F.- Ecoute-moi, avant de la juger ! Bonaparte, quoique jeune encore, connaît parfaitement le cœur humain, comme tu en as fait la juste remarque; il a calculé le nombre des hommes jaloux ou mal intentionnés qui le redoutent; les événemens du 18 fructidor lui ont servi de leçon; il a vu qu'en restant en France il ne tarderait pas à être oublié, persécuté même, et peut-être sacrifié qu'on joigne à cela le désir si naturel à une âme, telle que la sienne, de s'illustrer encore par de grandes choses et de porter l'éclat de son nom au-delà des mers! on ne sera plus surpris qu'il ait mis tant d'intérêt à cette expédition lointaine ; qu'il ait choisi pour l'accompagner ses meilleurs généraux et ses soldats d'élite; qu'il ait invité beaucoup de savans et d'hommes de lettres ; qu'il ait rempli ses vaisseaux d'approvisionnement de tout genre; qu'il ait enfin pourvu d'avance à tout ce qui est nécessaire pour fonder au loin une puissante

colonie.

Ainsi, trois choses ont particulièrement contribué à l'expédition maritime dont nous nous entretenons en ce moment; 1.o le désistement des projets de descente en Angleterre et le désir d'en distraire les esprits; 2.o la jalousie et les craintes que Bonaparte inspirait à certains hommes puissans; 3.° le double désir qu'éprouvait ce héros de faire encore de nouveaux exploits, et de se

mettre à l'abri des atteintes de la médiocrité et de l'envie.

Le Montagnard.-Il faut avouer que tes conjectures peuvent ne pas être tout-à-fait dénuées de fondement; mais n'admires-tu pas ce merveilleux ascendant d'un seul mortel, qui a entraîné à sa suite tant d'hommes au-delà des mers, sans qu'ils aient su où on les menait?

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F. F. Oui, et peut-être ce fait n'a pas été assez remarqué; il ne m'étonne pas de la part des militaires pour qui l'inactivité est un tourment, et qui sont accoutumés d'ailleurs à courir tous les hasards, et à s'abandonner aveuglément à la direction de leurs chefs; mais des hommes habitués à l'étude paisible des sciences et des beaux arts, ainsi qu'à la sécurité de la vie privée, comment ont-ils pu, sans répugnance, la plupart même avec transport, se prêter à une détermination aussi hasardeuse! comment ont-ils pu se résoudre à abandonner leur patrie, leurs familles, toutes leurs liaisons, des habitudes si longues et si chères! ..... C'est un seul nom qui a tout fait; Bonaparte partait

avec eux.

Le Montagnard.-Diable! voilà de l'enthousiasme; je le vois; tu souhaites réellement que l'expédition réussisse?

F. F. Sans doute, et avec plus de franchise que plusieurs de ceux qui semblent y applaudir je persiste à ne pas donner mon assentiment à cette expédition; mais, aujourd'hui qu'elle est en pleine activité, je

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