Зображення сторінки
PDF
ePub

leur mort, de composer avec leurs ossemens de mesquines décorations de théâtre! Le goût du joli est donc bien dominant à Paris, s'il a pénétré dans ses Catacombes!

Dans les caveaux de Saint-Michan, c'est la Mort, oui, la Mort vraie qui vous entoure non parée, enluminée, toute riante et théâtrale; mais muette, inexorable, dépouillée de ce qu'elle a de révoltant pour les sens de l'homme; pétrifiée, pour ainsi dire, et devenue plus terrible. L'absence de toute espèce de soin pour ces restes qui se conservent d'eux-mêmes; les morts survivant aux épitaphes, les cercueils détruits avant leurs maîtres; et ce pauvre guide endormi, redisant machinalement son élégie traditionnelle, et cette parfaite égalité du lieu moines, abbesses, assassins, buveurs, victimes politiques, courageux ou lâches; tous étendus là sans distinction, et ne servant plus qu'à faire vivre des générations de sacristains: tout cet ensemble formait une moralité frappante. Je ne sais vraiment si de toutes les leçons que l'humanité puisse recevoir, la plus forte n'est pas une telle promenade, une telle conversation, dans un tel lieu, avec un vieux sacristain imbécile.

:

1

VI.

Une Soirée de Machiavel.

Il y a de ces âmes profondes et de ces esprits immenses que les siècles et tous les commentateurs ne comprennent pas.

[merged small][merged small][merged small][ocr errors]

Dans une campagne, auprès de Florence, Machiavel vivait pauvre. Quelques bouviers du canton étaient ses seuls amis. Vieux, débile, et sans

fortune, il pouvait à loisir méditer sur le monde et sur l'ingratitude des hommes, parmi lesquels il est rare de trouver ce que le Dante appelle :

L'amico mio, non della ventura :

L'ami de ma personne et non de ma fortune.

On avait semé les espions autour du lieu qu'il habitait ; et le cabaret où (1) pendant les jours de pluie, revêtu d'un grand sarreau de toile bleue (que les peintres lui ont conservé dans son portrait, il allait jouer aux échecs avec les paysans et le magister, était rempli d'hommes chargés de l'épier. Mais le subtil Florentin ne donnait point dans le piége. Il feignait la niaiserie, et contrefaisait l'imbécillité. On écrivait à la présidence de Florence, que l'ancien secrétaire était tombé en enfance, et qu'on pouvait attendre sans crainte le jour où cet esprit dégradé s'abîmerait dans ses propres ruines, et n'aurait plus besoin que des secours de la charité publique et d'un asile parmi les insensés.

Cependant c'était ce fou qui, en rentrant dans sa maison solitaire, jetait loin de lui le sarreau

(1) Voyez ses lettres familières.

de toile, et, enveloppé d'un manteau, veillait entre Plutarque et Tite-Live. Cette vie dura cinq ans. On eût dit qu'il éteignait, en passant le seuil de sa porte, le flambeau de son intelligence, et que, le ranimant dans la solitude, il trouvait, dans ce mélange de lumières et de ténèbres, le secret d'en augmenter la chaleur et l'éclat.

Là, en effet, il fit le Prince. La Mandragore, chef-d'œuvre, rival du Tartufe, le précéda, sortit du bouge misérable où il cachait ses lambeaux et son talent. Le Traité de la guerre y fut aussi composé et l'Histoire de Florence, chef-d'œuvre encore, n'eut pas d'autre berceau.

Un soir, on frappa à la porte délabrée de sa demeure. Il vit entrer Vettori, homme sage, froid, républicain sévère, collègue de Machiavel dans ses missions, et le plus cher de ses compatriotes. L'âme de Machiavel restait indécise entre la nécessité de feindre et le plaisir de retrouver son ancien ami. Il hésitait entre le rôle d'insensé, qu'il jouait dans sa retraite, et l'épanchement qui allait suivre une entrevue, douce pour son cœur, et inespérée.

Vettori s'en aperçut, sa franchise désarma Ma

« НазадПродовжити »