Зображення сторінки
PDF
ePub

ravir encore. Ils allaient ainsi chaque jour brodant, pomponnant, étriquant le brillant habit classique, jusqu'à ce qu'enfin l'esprit humain, gêné, le déchira, le jeta, et se mit à courir. Maintenant qu'il est à terre, les critiques le ramassent, le pendent à la vue de tous dans leur musée de curiosités antiques, le secouent et tâchent de conjecturer d'après lui les sentiments des beaux seigneurs et des beaux parleurs qui le portaient.

V

Ce n'est pas tout d'avoir un bel habit, solidement cousu et à la mode; il faut encore pouvoir entrer commodément dans son habit. Lorsqu'on passe en revue toute la file des poëtes anglais du dix-huitième siècle, on s'aperçoit qu'ils n'entrent pas commodément dans l'habit classique. Ce justaucorps doré si bien fait pour un Français ne convient qu'à peu près à leur taille; de temps en temps un mouvement trop fort, incongru, le découd aux manches, et ailleurs. Voici, par exemple, Mathew Prior; au premier regard il semble qu'il ait toutes les qualités requises pour le bien porter: il a été ambassadeur en France, il écrit de jolis impromptus français ; il tourne aisément de petits poëmes badins sur un dîner, sur une dame; il est galant, homme de société, aimable conteur, épicurien, sceptique même, à la façon des courtisans de Charles II, c'est-à-dire jusques et y compris la coquinerie politique; bref, c'est un

mondain accompli dans son genre, ayant le style correct et coulant, maître du vers leste et du vers noble, et qui manie d'après Bossu et Boileau les pantins mythologiques. Avec tout cela, nous ne le trouvons ni assez gai ni assez fin. Bolingbroke l'appelle

[ocr errors]

visage de bois,» têtu, et dit qu'il y a du Hollandais dans sa personne. Ses mœurs se sentent bien fort de celles de Rochester et de toute cette canaille. bien vêtue que la Restauration légua à la Révolution. Il prend la première venue, s'enferme plusieurs jours avec elle, boit sec, s'endort, et la laisse s'enfuir avec son argenterie et ses habits. Entre autres souillons assez laides et toujours sales, il finit par garder Élisabeth Cox, si bien qu'il manqua l'épouser heureusement il mourut à propos. Telles mœurs, tel style. Quand il veut imiter le Hans Carvel de La Fontaine, il l'alourdit, il l'allonge; il ne sait pas être piquant, mais mordant; ses polissonneries ont une crudité cynique; sa moquerie est une satire, et il y a telle de ses poésies, l'avis à un jeune gentilhomme amoureux, où le coup de fouet est un coup d'assommoir. D'autre part, ce n'est pas un viveur ordinaire. De ses deux poëmes principaux, l'un sur Salomon, paraphrase et met en scène le mot de l'Ecclésiaste : « Tout est vanité. » A ce trait, vous découvrez tout de suite que vous êtes en pays biblique une pareille idée ne fût point venue alors à un camarade du Régent. Salomon conte ici qu'il a vainement interrogé ses sages, qu'il a été malheureux également par l'amour refusé et par l'amour

obtenu, que le pouvoir ne l'a point contenté, et il finit par se remettre aux mains de Dieu. Ce sont là des tristesses et des conclusions anglaises. D'ailleurs, sous la rhétorique et la facture uniforme des vers, on sent de la chaleur et de la passion, on aperçoit de riches peintures, une sorte de magnificence et l'épanchement d'une imagination trop pleine. La séve en ce pays est toujours plus forte que chez nous; leurs sensations sont plus profondes, comme leurs pensées plus originales. Son autre poëme, trèshardi et très-philosophique, contre les vérités et les pédanteries officielles, est une conversation bouffonne sur le siége de l'âme, où Voltaire a pris beaucoup d'idées et beaucoup d'ordures; tout l'arsenal des sceptiques et des matérialistes était bâti et rempli en Angleterre, quand les Français y sont venus; Voltaire n'a fait qu'y choisir, affiler des flèches. Notez encore que ce poëme est tout entier écrit en style de prose, avec un âpre bon sens et une franchise médicale que les plus crues des abominations n'effarouchent pas'. Candide et les Oreilles du comte de Chesterfield sont des écrits plus brillants, mais non plus vrais. Somme toute, brutalité, manque de

1. Your nicer Hottentots think meet

With guts and tripe to deck their feet;
With dowcast looks on Potta's legs,
The ogling youth most humbly begs,
She would not from his hopes remove
At once his breakfast and his his love....
Before you see you smell your toast,
And sweetest she that stinks the most.
(Alma, livre II.)

goût, longueurs, perspicacité, passion, il y a quelque chose en cet homme qui ne s'accorde pas avec l'élégance classique. Il va au delà ou ne l'atteint pas.

[ocr errors]

Ce désaccord va croître, et des yeux attentifs découvrent vite sous l'enveloppe régulière une espèce d'imagination énergique et précise qui la rompra. En ce temps-là vivait Gay, sorte de La Fontaine, aussi voisin de La Fontaine qu'un Anglais peut l'être, c'est-à-dire assez peu, à tout le moins bon et aimable vivant, très-sincère, très-naïf, singulièrement «< irréfléchi, né pour être dupé, » et jeune homme jusqu'au bout. Swift disait de lui qu'il n'aurait jamais dû avoir plus de vingt-deux ans. « Simplicité « d'enfant, écrivait Pope, esprit d'homme. » Il vivait, comme La Fontaine, aux dépens des grands, voyageait autant qu'il pouvait à leurs frais, perdait son argent dans les spéculations de la mer du Sud. souhaitait une place à la cour, écrivait des fables pleines d'humanité pour former le cœur du duc de Cumberland', finissait par s'établir en parasite aimé, en poëte domestique chez le duc et la duchesse de Queensbury. De sérieux, fort peu; de scrupule et de tenue, pas davantage. « C'est mon triste destin,

disait-il, que je ne peux rien obtenir de la cour, «< que j'écrive contre elle ou pour elle. » Et il faisait mettre sur son tombeau : « La vie est une plaisan«<terie; je l'avais bien pensé autrefois, mais à pré« sent je le sais. » C'est ce rieur insouciant qui,

1. Celui qu'on surnomma le Boucher.

pour se venger du ministère, fit l'Opéra du Gueux, la plus féroce et la plus fangeuse des caricatures. En cette cour on égorge les gens pour les égratigner; les innocents manient le couteau comme les autres. Il était rieur pourtant, mais à sa manière, ou plutôt à la manière de son pays. Voyant « certains jeunes «< jeunes gens d'une délicatesse insipide, » Ambroise Philips par exemple, qui écrivait des pastorales élégantes et tendres, dans le goût de notre Fontenelle, il s'amusa à les contrefaire et à les contredire, et, dans la Semaine du Berger, fit entrer les mœurs réelles dans le mètre et dans la forme de la poésie d'apparat. « Courtois lecteur, dit-il dans sa préface, tu trouve«ras mes bergères occupées, non pas à souffler dans << des chalumeaux, mais à lier les gerbes, à traire <«< les vaches, ou à ramener les porcs à leur auge; << mon berger ne dort point sous des myrtes, mais << sous une haie; il ne veille pas diligemment à pré<< server son troupeau des loups, car il n'y en a point'. » Figurez-vous un pâtre de Théocrite ou de Virgile à qui l'on met de force les souliers ferrés et l'attirail d'un vacher du Devonshire; ce sera un grotesque qui nous divertira par le contraste de sa personne et de ses habits. De même ici la Magicienne, le Combat des Bergers, toutes sortes d'églogues anti

[ocr errors]

1. Thou wilt not find my shepherdesses idly piping on oaten reeds, but milking the kine, tying up the sheaves, or if the hogs are astray, driving them to their styes. My shepherd... sleepeth not under myrtle shades, but under hedges; nor does he vigilantly defend his flocks from wolves, because there are

none.

« НазадПродовжити »